Il m'arrive, de temps en temps (mais c'est hélas de plus en plus rare), d'échanger avec des gens de qualité au cours de contacts établis par mails, lettres, rencontres, d'intéressantes réflexions se rapportant au domaine du "martial". C'est le côté agréable (et motivant) du travail constant que j'essaie, encore toujours, de faire pour que l'image de ce domaine ne continue pas à être dégradée sur toute la ligne.... Une sorte de récompense que je sais apprécier. Et que je voudrais partager avec vous, sur ce site. Lisez donc cette délicate nouvelle que je viens de découvrir au cours d'un échange de mails avec Cyril Durr (qui nous avait déjà fait l'agréable surprise de parler de "Tengu-no-michi" dans la revue "Geek", dans un article figurant sur ce site). Je l'en remercie au passage d'en autoriser la publication ici.

Ce n'est pas seulement un beau conte. C'est aussi une belle "matière à réflexion"... Finalement, une "histoire de dojo" comme nous n'en connaissons plus guère !

R.Habersetzer

"Blessures de lame"

par Cyril Durr

(première publication dans le magazine Khimaira # 6, en avril 2006)

  

- Grand-père, raconte-moi encore ton histoire !

Sylvain sourit à son petit-fils, d’un sourire franc et massif qui creusait de profondes rides sur son visage et semblait l’illuminer.

Encore une fois, il s’assit sur le bord du lit, ferma les yeux un instant, le temps de laisser les souvenirs refaire surface, puis raconta encore…

 

Sylvain s’élança, fouettant l’air de son shinaï, mais son adversaire sembla se dérober devant lui, comme si jamais il n’avait été là. Avant même que l’étonnement ne fut passé, Sylvain sentit trois petits chocs, à la jambe, au dos et à l’épaule. Hiroshi se mit à rire.

- C’est pas drôle, bougonna Sylvain en jetant son sabre en bambou au loin. Suffit pour aujourd’hui.

- Alors viens ! Je vais te montrer quelque chose de vraiment drôle !

Sylvain considéra son ami d’un regard où se mêlaient curiosité et énervement. Hiroshi avait une quinzaine d’années, sensiblement le même âge que lui, mais il lui était toujours supérieur en tout et cela avait le don de l’agacer prodigieusement. Il était plus rapide, plus fort, parlait mieux le français que lui le japonais, quant au maniement du sabre, il était inutile de songer le toucher un jour tant sa maîtrise semblait profonde. Malgré tout, Hiroshi était l’un des rares amis de Sylvain dans ce pays dont il ignorait jusqu’à l’existence voici encore deux ans, avant que son père ne les y traînât pour d’obscures raisons d’affaires.

- Quoi ? Si c’est du tir à l’arc que tu veux faire, ça ne me dit rien non plus.

- Non, je vais te montrer un animal. Mon animal.

 

Hiroshi et Sylvain marchèrent longuement dans la campagne d’abord, puis la forêt. Le paysage était magnifique, tout ici avait une couleur différente, une odeur différente, une vibration différente. Si Sylvain connaissait le mot « exotique » avant de venir au Japon, il en goûtait maintenant pleinement le sens.  Les paysans qu’ils croisaient les saluaient en s’inclinant un peu, un éternel sourire figé sur leurs lèvres fines. De subtiles effluves de terre mouillée montaient du sol et semblaient varier à chaque pas. La végétation même paraissait inventer des teintes de vert que l’on ne pouvait admirer nulle part ailleurs. Tout était si… différent. Et pourtant, tout était presque pareil. Les champs, les chemins, les forêts. Les mêmes ingrédients mais ils n’avaient pas le même goût. Etait-ce seulement une imagination nourrie par l’audace adolescente ou y avait-il vraiment ici quelque chose de totalement nouveau ? Sylvain aurait été bien en peine de le dire. Il jeta un coup d’œil furtif à Hiroshi qui marchait à ses côtés. Il regardait droit devant lui, respirait lentement et avec régularité. Il l’avait déjà expliqué à Sylvain de nombreuses fois sans qu’il ne comprenne tout à fait ; il fallait être conscient de ce qui les entourait sans vraiment y fixer l’esprit. Tout voir et ne rien regarder. C’était le secret du sabre mais selon Hiroshi, c’était également le secret de tout. Des balades en forêt à la calligraphie en passant par la cérémonie du thé.

- On arrive, dit Hiroshi.

 

Sylvain n’en croyait pas ses yeux. Au départ, il n’avait rien vu. Puis il avait distingué une sorte de trou sur une petite colline entre les arbres. Ils avaient attendu quelques minutes et il était apparu. D’abord la tête, longue, parsemée d’écailles bleutées, puis le corps, fin et musclé, soutenu par des pattes à peine visibles et surmonté d’ailes magnifiques et immenses à l’aspect rougeâtre et délicat.

- C’est… c’est un… un dragon, murmura Sylvain, terrorisé.

- C’est mon animal, répondit Hiroshi, l’air satisfait.

- Il va nous dévorer, continua Sylvain d’une voix glacée.

- Non, il est gentil. Il ne faut pas avoir peur surtout, il le sent.

Sylvain regarda Hiroshi, complètement ahuri.

- Mais, c’est un… un dragon, c’est pas une guêpe ou un chien ! Comment on fait pour pas avoir peur ? J’ai peur justement !

- Ferme les yeux alors. Laisse les autres sens agir. C’est la vision que tu as de lui qui te fait peur.

Presque comme dans un rêve, Sylvain obéit et ferma les yeux. Au début, il n’entendit rien à part les coups sourds de son cœur qui semblait vouloir sortir de sa poitrine. Puis, il sentit le vent léger sur son visage. Puis une odeur, sucrée et légère. Et des pas qui se rapprochaient en faisant vibrer le sol.

- Lève la main maintenant, demanda Hiroshi, et touche-le.

Les yeux toujours clos, Sylvain tendit une main tremblante devant lui. Elle toucha quelque chose. Le contact n’était ni froid ni poisseux comme il l’avait craint. Une tendre chaleur émanait d’une surface satinée et douce. Hiroshi avait raison. Les yeux hurlaient au danger mais le toucher, le goût, l’odorat et l’ouïe, eux, ne s’affolaient pas. Quatre sur cinq. La sagesse commandait de faire confiance à la majorité des sens.

 

L’animal d’Hiroshi se révéla inoffensif mais également profondément attachant au fil du temps. A chaque visite, une ou deux fois par semaine, Sylvain se détendait un peu plus. Le dragon tournait autour d’eux, les toisait parfois avec curiosité en les reniflant un peu. Lorsqu’il s’approchait et les effleurait d’une patte ou en approchant son visage, il manifestait une infinie douceur afin de ne point les blesser. Il s’envolait rarement mais faisait de drôles de petits bonds avec une grâce que n’aurait pas laissé supposer son poids. Ses petits cris longs et mélodieux - mais pourtant discrets pour une si imposante créature - exprimaient à la fois une joie intense et une sorte d’amicale invite à venir le caresser, lui courir après ou lui envoyer des bâtons à rattraper. Sylvain n’en revenait pas. Comment les dragons, puisqu’ils existaient, avaient-ils pu avoir une si cruelle réputation dans les contes ? Tout dans cet animal respirait la gentillesse et la pureté. Presque un an après cette première rencontre, Hiroshi fit un cadeau à Sylvain. Un cadeau subtil et précieux, comme les japonais savent en faire. Il cessa de dire « mon animal » en parlant du dragon et remplaça « mon » par « notre ».

Sylvain ne savait pas trop ce qu’engendrait une telle responsabilité et il s’en inquiéta un jour auprès d’Hiroshi qui lui fournit une explication limpide et sincère.

- Quand je disais « mon », il n’était pas à moi. Je dis mon par amour, comme je dis « mon père ». Je sens bien que toi aussi tu l’aimes maintenant. Alors je dis « notre animal ». Mais il n’est pas à nous, tu le sais n’est-ce pas ?

- Oui… je le sais.

 

Hiroshi tomba malade un peu avant l’hiver. Ce n’était pas une simple grippe, loin de là. La fièvre le clouait au lit et bien souvent, le faisait délirer longuement. Sylvain allait voir son ami aussi souvent qu’il le pouvait et il le reconnaissait de moins en moins. Lui qui, autrefois, semblait peser sur vous rien qu’en vous regardant avait maintenant du mal à garder ses yeux, rougis, ouverts. Des frissons incontrôlables parcouraient ce corps qu’il maîtrisait pourtant si parfaitement naguère. Sylvain lisait l’inquiétude dans les yeux de ses parents à chaque fois qu’ils l’accueillaient. Ils parlaient peu le français mais ils semblaient heureux de voir que leur fils eût une visite si régulière. Souvent, Sylvain donnait à Hiroshi des nouvelles de « leur » animal. Un soir, alors que Sylvain veillait son ami et qu’ils étaient tous deux seuls dans sa chambre, Hiroshi lui prit la main.

- Sylvain, j’ai parlé dans mon sommeil. Ils savent pour notre animal, ils vont aller le tuer.

- Quoi ?

- Laisse-moi parler pendant que j’en ai la force.

Sylvain remarqua que la fièvre venait de disparaître des yeux de son ami. Il luttait et pour l’instant, il avait le dessus.

- Je les ai entendus dans la pièce à côté, mon père et quelques autres. Ils sont allés là-bas, ils l’ont vu, ils pensent que c’est lui qui m’a donné ce mal. Ils vont le tuer.

- Mon Dieu ! Le tuer ? Mais, il faut leur expliquer, leur dire que…

- Non, coupa Hiroshi, ça ne sera pas suffisant. Eux, ils ne fermeront pas les yeux. Tu me comprends ?

- Oui, murmura Sylvain.

- Il faut le faire partir.

- Tu veux que je le chasse ?

- Oui.

- Bon, ok, je vais essayer.

- Non, tu ne vas pas essayer, tu vas le faire. Promets-le moi.

- Mais, comment je vais le…

- Il faut promettre !

Sylvain regardait son ami qui semblait si sérieux et si désespéré. Ses yeux commençaient à reprendre une vilaine teinte rouge.

- C’est promis.

- Bon, alors écoute. Il va falloir… il ne s’en ira pas facilement.

- Je sais, il faut que je lui fasse… peur ?

- Non, ça ne suffira pas, il sent qu’on l’aime. Il n’aura pas peur. Il faut lui… faire… mal.

- Mal ?

Sylvain sentit son cœur se déchaîner tandis que de sombres pensées assaillaient son esprit.

- Il faut qu’il parte et il faut qu’il craigne l’Homme. Qu’il ne se montre plus. Tu dois lui faire mal. L’obliger à te regarder comme toi tu l’as vu la première fois.

- Mais… comment je vais faire ça ?

Hiroshi tourna alors la tête vers le mur en face de lui. Sylvain suivit son regard. Au fond de la pièce, maintenu par deux crochets, trônait un katana.

 

Sylvain suivait le même chemin qu’ils avaient tant de fois parcouru à deux. La joie de retrouver leur animal avait disparu. L’odeur de terre mouillée était moins forte. Dans sa main, Sylvain tenait le katana de son ami. Non pas un shinaï en bambou ni même un bokken en bois mais bien une lame, aiguisée, coupante, mortelle. Avant de se mettre en route, Sylvain avait remarqué les préparatifs. Le petit groupe formé par les parents d’Hiroshi allait passer à l’action dès demain. Il fallait donc agir maintenant. Et par un mauvais coup du sort, c’était lui qui n’était pas fiévreux, lui qui devait porter un sabre à la nuit tombante, lui qui devait faire… mal.

Sylvain arriva enfin au repaire de leur étrange ami. Celui-ci l’avait déjà senti de loin et l’accueillait en faisant de petits bonds autour des arbres. Sylvain brûlait d’envie de le caresser une dernière fois mais il n’en avait pas le droit. Ils l’avaient rendu fragile en l’aimant. Le monde n’était malheureusement pas peuplé d’adolescents qui pouvaient fermer les yeux pour vraiment voir un être. Chaque nouveau signe amical pouvait signifier la mort à court terme pour leur compagnon. Sylvain hurla d’une voix qu’il voulait menaçante et brandit son sabre.

 

Le dragon sursauta, surpris par le cri, puis, croyant à un jeu, poussa une suite de petits aboiements faussement menaçants dans lesquels perçait un amusement totalement perceptible.

- Je ne joue pas imbécile ! hurla Sylvain.

Le dragon s’arrêta à quelques mètres de lui, la tête penchée sur le côté, les ailes déployées, attendant la suite.

Sylvain serrait fortement le katana des deux mains. Il le tenait verticalement, un peu en arrière du visage, près de l’épaule droite. Pied gauche en avant, jambes légèrement fléchies. Pas de doute, il savait comment faire, il avait suffisamment manié le shinaï avec son ami pour connaître au moins les techniques de base, mais il fallait maintenant agir sur un être vivant, un être vivant qui, en plus, ne le menaçait nullement. Quand Sylvain avait commencé à apprendre les arts martiaux, il s’imaginait parfois qu’il sauverait peut-être la vie de quelqu’un grâce à cet enseignement. Il s’imaginait en samouraï moderne, en héros valeureux. Hiroshi avait essayé de lui dire que ce n’était pas cela, mais sur le moment, Sylvain n’avait pas compris.

- Cela prend parfois une vie de sauver une vie.

Cette phrase d’Hiroshi raisonnait à présent dans son esprit. Sur le coup, cela lui avait paru abscond et même totalement dénué de sens. Prétention asiatique, avait-il même pensé ! Aujourd’hui, il comprenait cette phrase et en goûtait l’infecte amertume. Ce n’était pas toujours facile d’agir bien. Parfois, cela faisait mal.

- Il arrive parfois qu’il y ait beaucoup de Yin ou beaucoup de Yang, mais c’est rare, en général, ça s’équilibre. Mais même parfois, quand l’un des deux prend le dessus, il reste un peu de l’autre.

Sylvain aurait aimé comprendre ce genre de sentences dans d’autres conditions. Tout semblait pourtant prendre un éclairage nouveau et se révéler. Dans n’importe quel acte positif, il reste une infime trace de mal et de douleur. Dans n’importe quelle cruauté subsiste également une infime mais réelle trace de bonté. Tout est lié.

Le dragon se rapprocha doucement, levant une patte amicale en direction de Sylvain.

 

Hiroshi lui avait expliqué comment faire.

- Tu ne peux pas le toucher aux ailes, il en a besoin pour voler. Ni à la tête, trop dangereux. La queue ça irait mais elle est dure, massive, ça ne sera pas facile de lui faire mal. Le mieux, c’est une patte de devant. Il ne faut pas juste l’égratigner. Transperce-la. Il faut qu’il te haïsse et qu’à travers toi, il nous haïsse tous.

Sylvain frappa enfin. Il plaça son sabre horizontalement, bien en arrière, et d’un mouvement qui partit du ventre et des hanches, lança lourdement sa lame en avant. Celle-ci transperça facilement la patte amicale de « leur » animal qui, instantanément, redevint « un » dragon.

La surprise se lut d’abord dans ses yeux, une sorte d’abjecte incrédulité qui se grava dans le cœur de Sylvain. Puis, un immense cri brassa l’air environnant. Ce n’était plus doux ni enchanteur, c’était un pur et déchirant cri de douleur. Le seul message inter-espèces quasiment universellement intelligible : « j’ai mal, au secours ! »

Puis, la douleur aidant, la colère commença à gagner les yeux du dragon. Sylvain hurla alors de nouveau, à plein poumon, en faisant tourbillonner le sabre qu’il avait retiré de la plaie sanglante et en essayant d’avoir l’air menaçant. Le dragon s’envola, évitant de peu les quelques arbres environnants. A un moment, il jeta un regard en arrière, il trouva les yeux de Sylvain et ce dernier crut y lire un peu de tristesse noyée dans la douleur et la haine.

même parfois, quand l’un des deux prend le dessus, il reste un peu de l’autre...

Sylvain savait, lui, que tant que la tristesse ne prendrait pas le dessus sur la douleur, son ami serait à l’abri.

 

- C’est pas possible ! Tu lui racontes encore tes horribles histoires d’épées, de dragons et de je ne sais quoi !

Béatrice venait de faire irruption dans la pièce. Qu’importe, l’histoire était finie.

- Oh, grand-mère, ce ne sont pas d’horribles histoires, c’est super au contraire.

- Oui, ben, il est l’heure de dormir quand même, gronda l’épouse de Sylvain.

Ce dernier sortit sans se faire prier.

- Bonne nuit grand-père, tu inventes de sacrées chouettes histoires moi j’trouve !

- Bonne nuit mon grand, fit Sylvain, un sourire malicieux aux lèvres.

Sylvain jeta un œil à sa montre. Trop tôt pour déjà dormir. Il passa dans la cuisine, ramassa sa pipe, et l’allumant, se rendit au salon où son fauteuil l’attendait, fidèle gardien de ses maintenant vieux os. Sylvain aimait se détendre un peu ainsi, jetant un œil aux esquisses japonaises qui décoraient les murs. Quelques armes traditionnelles étaient également suspendues ça et là. Des tonfa, des saï, un bokken, et, juste en face, un katana.

Celui-ci était prudemment rangé dans son fourreau en bois. Personne n’y touchait jamais, sauf Sylvain lui-même, de temps en temps, quand il avait envie d’admirer la lame. Mais la lame, même par beau temps, ne brillait jamais au soleil. Elle était recouverte d’une matière séchée, d’un brun foncé, presque noir. Il n’y avait pas grand risque à garder ce sabre dans cet état. Un curieux penserait sans doute que Sylvain n’était pas très soigneux, voilà tout. Qui irait imaginer que ce qui retenait les reflets du soleil et maintenait la lame dans une pénombre perpétuelle était du sang ? De dragon qui plus est ?

 

Hiroshi s’était remis finalement. C’était la partie de l’histoire que Sylvain ne racontait jamais. Ils avaient continué à s’entraîner ensemble et Sylvain réussissait maintenant à prendre parfois le dessus. Et puis, un jour, les affaires de son père cessèrent et il fallut rentrer en France.

Le jour de son départ, alors qu’il bouclait à peine sa valise dans une chambre qu’il regretterait finalement, c’est Hiroshi qui vint lui rendre visite.

- Je suis triste que tu t’en ailles.

- Je suis triste aussi Hiroshi.

- Après « notre » animal, c’est maintenant toi que je perds. « Mon » ami.

- Mais… tu sais que je ne t’appartiens pas, n’est-ce pas ? dit Sylvain sur le ton de la plaisanterie.

Ils rirent tous les deux, d’un petit rire nerveux qui voulait masquer le brillant de leurs yeux.

- Je t’ai apporté ça. Il est à toi maintenant.

Sylvain reconnu le fameux katana.

- Je… ne peux pas accepter Hiroshi. C’est… ça à trop de valeur pour toi, et surtout, ça me rappelle de trop mauvais souvenirs.

Hiroshi sortit le sabre du fourreau. Sylvain constata avec effroi qu’il n’était pas nettoyé et qu’une matière rougeâtre le recouvrait presque entièrement.

- Pourquoi est-ce que tu ne l’as pas net…

- Ferme les yeux.

- Hein ?

- Ferme-les.

Sylvain s’exécuta.

- Tends la main maintenant.

Sylvain sentit la poignée du katana. Il referma ses mains dessus. Une étrange odeur épicée, pas désagréable, lui chatouilla les narines.

- Tu le sens ? Tu sens qu’il t’appartient déjà ?

- Je… je sais pas trop.

- Ce sang sur cette lame, ce n’est pas un mauvais souvenir. Tu n’as tué personne, tu as sauvé une vie. La vie d’un être fantastique. Ce katana est ancien, il a beaucoup de valeur c’est vrai. Mais avant, le sang qui le recouvrait avait toujours été le sang de nos ennemis. Aujourd’hui, grâce à toi, il a servi à préserver la vie. La vie de notre ami. La vie d’un dragon.

 

Sylvain fumait toujours sa pipe, les yeux fermés, sans doute pour ne pas pleurer mais ce n’était pas tout. Il voyait mieux la pièce quand il la regardait avec ses autres sens. Il ne se laissait pas abuser par les images, nettes, précises et violentes. Il laissait à son esprit l’occasion de voir au-delà de l’apparence. Il laissait ses autres sens le renseigner. Tout voir sans rien regarder. C’était le secret du sabre. Le secret de tout. Le secret partagé par un gamin japonais, qui devait être un vieillard aujourd’hui, lui et… un dragon.

 

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