Le 48e Stage de printemps
comme si vous y étiez... |
Dense... passionnant... passionné... au cours de
ce week-end des 26 et 27 mai, avec plus de 80 stagiaires studieux souvent
venus de loin... fidèles au rendez-vous, comme à l'habitude ! ... avec quelques PHOTOS pour vous en faire une idée !
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Quelques
réflexions au retour du dernier stage de printemps...
Soke Roland Habersetzer. Quelques lignes maladroites en guise de remerciement. Si ces réflexions ne lassent pas votre longue expérience, elles n'auront pas été tout-à-fait inutiles. La Voie façonne l'homme, universelle, plurielle et unique pour chaque individu. Voilà un de ses paradoxes. La Voie accompagne qui le veut, qui la veut; elle est la direction mais c'est l'individu qui la trace. Elle est un don en ce sens qu'elle s'offre mais il est ardu de la recevoir lorsqu'on l'a acceptée. Compagne exigeante et fidèle, elle dépend du bon vouloir de chacun et n'en attend rien. Tandis qu'elle demeure, combien sont ceux qui l'ont tracée en vain ? Senseï Habersetzer s'est dit obsédé par certaines questions, qui le tiennent « éveillé » la nuit; a par ailleurs regretté de ne faire que 40% de ce qu'il avait prévu... qu'il se rassure, s'il devait l'être, je fais le même constat, rétorquerais-je présomptueusement. A peine a-t-on mis le pied à l'étrier, effleuré l'écume, cru voir dans ses propres erreurs ou dans les difficultés de ses élèves tout ce qui pourrait être amélioré, que le gong retentit, la séance se termine et le chemin semble se refermer encore, pour cette fois... Comme vous le rappeliez, l'important n'est pas d'être arrivé, mais de cheminer. A l'occidentale, toucher au but n'est pas le propre d'un art véritable, fut-il martial; dans cette vie du moins. La perfection (le satori ?) comme but ultime est à la portée de quelques rares orientalisants, de souche ou d'adoption. Question de culture. Stages : Certains reviennent, beaucoup picorent de ci de là. Question d'époque. Le milieu associatif est grandement touché par cette parcellisation des centres d'intérêt, qui accompagne l'accélération des modes de vie. Sélection naturelle qui en vaut une autre. Ceux qui ne reviennent pas ne sont pas forcément déçus par l'enseignement dispensé. Les raisons peuvent être nombreuses. Si un jour je ne reviens pas, il n'en restera pas moins une adhésion à un grand nombre de concepts que j'ai eu l'opportunité de découvrir à travers vos ouvrages. Mme Rémus-Cambourian (cette collègue d'allemand retraitée dont je vous ai déjà parlé, le « ninja » 1er dan de la photo) en disait tout autant il y a peu : elle vit à travers ces livres et selon le peu de forces physiques qui l'habitent à ce jour. Ce n'est déjà pas si mal. Le travail accompli, encyclopédique, autant que le vécu, est déjà inscrit, ancré dans l'histoire des arts martiaux et du karaté-do en particulier; par sa qualité, sa situation géographique et historique. Egalement par sa position si particulière, précisément en dehors du courant dominant. Cela même est plutôt bon signe; c'est pourquoi déplorer la dérive, depuis si longtemps entamée, ne m'attriste guère. L'Art représente toujours un sommet que peu décident de gravir. Une fédération dominante fonctionne comme tout autre système, politique, public, associatif, religieux ou privé... l'âme humaine est diverse, souvent avide et le pouvoir corrompt si facilement; l'historien est particulièrement bien placé pour le savoir. Vous avez plus appris après vingt années de pratique qu'avant, dites-vous. Apprendre pour désapprendre. Vos commentaires sur les kihon, la puissance demandée en Shotokan sur le premier blocage... Oui, tout est vrai, et nuançable à la fois - pas de vérité en art -. Les kata, que vous avez si précieusement compilés, collectés, sont un instantané bien déformé et qui ne correspond plus à l'époque, à la pratique... a-t-on déjà dit. S'il n'y avait qu'eux. Il y a tant de techniques qui paraissent douteuses. Le travail réel de karaté commence, peut-être à la ceinture noire, par cette déconstruction des années d'apprentissage classique, et pourtant si récent. En karaté, tout est faux, pourrais-je avancer par provocation. L'histoire ayant été si vite, l'enseignement recueilli, dispensé, sous son apparente rigueur stylistique, est un salmigondis dont on ne retient souvent que le moins bon pour l'adapter à d'autre mœurs et mentalités. Depuis la fin du XIXe siècle, l'influence occidentale sur l'archipel, l'influence du Japon sur Okinawa et l'inverse, puis encore l'exportation mise au goût étranger, en partie à des fins de commerce voire de supercherie : il y avait bien de quoi brouiller les pistes, même sans intention. Suppositions : Le kata est un équivalent de la cérémonie du thé, du iaï, d'autres pratiques nippones, qui mêlent la recherche de perfection, d'absorption de l'être par sa pratique, d'agglutination du temps dans l'instant, entre autres aspects. Vous avez rappelé, une fois de plus, la quasi-inanité des compétitions de kata. Nos yeux nous trompent. Le kata se vit et ne se voit pas. Je pense, maintenant, que le kata succède à la respiration, qui fait naître, ou capte, domestique, voire transmute – dans le meilleur des cas – l'énergie. Autrement dit, le kata est une expression, parmi d'autres, de l'énergie vitale et de son utilisation. Le kata, forme corporelle, dépend du corps physique. Absurdité donc que les kata par équipe, ou simplement simultanés. Ils tournent le dos à une pratique individuelle, adaptée à l'adepte. Par ailleurs, comme il existe un corps spirituel, il existe certainement un kata spirituel. En attendant d'en discerner peut-être un jour la substance, la respiration peut sans doute nous guider dans la bonne direction. L'intérêt des koshiki-kata, des Happoren, Hakufa et autres Sôchin réside sans doute aussi dans l'économie des mouvements. En ce sens, je regarde comme une devanture l'imitation des animaux par les styles divers. Là aussi, l'apparence peut-être trompeuse pour un occidental, qui prendra au pied de la lettre de son cartésianisme la poésie des esprits orientaux. Ces kata ne permettent-ils pas, mieux que leurs spectaculaires cousins, d'approcher de l'essentiel par le travail du souffle ? Celui-ci peut, par ailleurs, être considéré comme une forme de psycho-guidage, voire de psychothérapie. L'énergie conduite, entre autres par la respiration, va aboutir à ce contrôle à distance qui repousse d'éventuels adversaires, autant que la persuasion psychologique. Ainsi qu'il est fait mention, par exemple, pour les ultimes affrontements de Musashi, si tant est qu'il y en ait eu d'autres après le duel avec Ganryû. L'énergie aboutirait aussi à cette prise de contrôle quasi-électrique, que l'on rencontre dans de spectaculaires vidéos de l'aïki-jutsu. Les élèves semblent soudain en contact avec un gymnote à taille humaine et s'écroulent les uns après les autres comme château de cartes. L'énergie captée et liée à une extrême préhension de l'instant du combat trouve aussi son emploi chez un Akuzawa senseï, tel qu'on peut l'observer sur d'autres vidéos. Sur ce chapitre, les fréquentes démonstrations du kiaï furent d'un grand intérêt, ainsi que le travail du hara, expliqué sous ses formes externe et interne, pourrais-je dire. Kenseï, voisé de façon explicite, indique immédiatement un niveau de pratique. Autre sujet d'interrogation prégnant pour Roland Habersetzer : y aller ou pas ? Toute sa vie, le budoka sincère se tiendra à la frontière en souhaitant ne pas la franchir. Les arts martiaux, qui attirent à eux les êtres en mal de force, de respect d'eux-mêmes, offrent cet autre paradoxe de désarmer les puissants. Les arts martiaux offrent les armes pour qu'elles reposent, dans une paix atteinte ou retrouvée. « Ne pas subir » est déjà un choix. Pour la défense d'autrui, qui plus est, c'est un but auquel la loi enjoint. Pour soi-même, c'est le présupposé d'une conduite, dont la réalité peut être très variable selon les circonstances. L'expert ayant atteint le but – il y aura donc une fin à la Voie ? - doit pouvoir annihiler toute velléité de nuisance sans lui nuire à elle-même. Nous avons senti un accueil plus affirmé des membres du CRB, et dans le même temps avons perçu la cohésion du groupe, dans son bilinguisme. La cohésion d'un vrai dôjô, en somme. Mes deux compagnons de voyage sont toujours aussi enthousiastes. Qu'emporteriez-vous comme unique livre de Roland Habersetzer ? A défaut d'un livre blanc, ce serait Ecrits sur les Budô. Faisant la part des choses en ce qui concerne les regrets souvent formulés ( cf. ci-dessus ) au sujet de la déformation du message martial, lui-même trouvaille quasi-fortuite de la Pax Tokugawa, ces regrets qui sont un reflet du parcours du pionnier et du vertueux rônin, je considère ce recueil comme essentiel. Il est un des guides précieux à côté de quelques autres comme, par exemple, l'ouvrage de Mabuni Kenei, que vous recommandiez naguère. Et celui, qui ouvre l'esprit, de Shoshin Nagamine. J'y ajouterais encore l'espoir de voir un jour d'improbables écrits de Otsuka Hironori-Jiro... A bientôt donc, de visu ou de libro, et merci encore. Emmanuel Isnard (Loches Karaté-Dô)
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