Congrès Mondial des Arts Martiaux
et Sports de Combat
Le 1er Congrès Mondial des Arts Martiaux et Sports de Combat sest réroulé début avril à la Faculté des Sciences du Sport, Université de Picardie, à Amiens. Sensei Roland Habersetzer, invité, assista au compte-rendu des divers travaux présentés par des congressistes venus de plusieurs pays dEurope ainsi que des USA. Il lui revint ensuite la charge et lhonneur de clôre la réunion par une communication finale. La voici, in extenso : son thème ne devrait pas étonner ceux qui côtoient son enseignement en karatégi dans lun ou lautre Dojo du Centre de Recherche Budo car, depuis si longtemps déjà, il ne cesse dy tenir le même discours... |
Mesdames et Messieurs,
Tenter de faire une synthèse des communications qui
ont été faites ici, sur ces deux jours, est évidemment une mission impossible ...
Mon propos sera donc daborder sous un autre angle les préoccupations et recherches
dont il a été fait état ici.
Permettez moi dabord de rappeler à celles et à ceux qui ne me connaissent pas que
jexerce toujours le métier de professeur dHistoire et de Géographie dans un
Lycée alsacien, ce qui ne mempêche pas de vivre passionnément lexpérience
du Budo, et du Karatedo en particulier. Beaucoup dentre vous savent quà ce
titre jai publié en 30 ans quelques 63 ouvrages traitant du sujet. Ce qui fait un
peu plus dun titre par année de vie ... Ceci pour vous dire que je crois
pouvoir prétendre, sans fausse modestie, à une certaine connaissance dans les arts
martiaux. Et pour vous dire aussi que, pourtant, il mest arrivé de me demander, en
écoutant les propos des intervenants, si javais bien ma place parmi vous, à force
de me demander si nous parlions tous de la même chose ...
Pardonnez moi si je nai pas tout compris ...
mais laissez moi vous dire ceci.
Je sais, depuis longtemps, pour avoir écrit des milliers de pages pour essayer de
convaincre, et avoir dirigé tant de stages et séminaires à travers le monde, quil
faut, de temps en temps, mais très vite, revenir aux choses simples et essentielles. Je
voudrais donc, en premier, vous mettre en garde devant le piège des mots ... Ils
grisent, créent très vite un monde en soi dans lequel il est tentant de sisoler,
mais ils vous séparent de ceux qui tentent de vous suivre, ils limitent et enferment. Il
faut se garder de la tentation dintellectualiser à lextrême, dans des
discussions byzantines, un domaine où la transmission du savoir se fait essentiellement
par le language du corps (geste et imitation du geste). La communication, dans le domaine
de lart martial, relègue au dernier rang le rôle du verbe : on y évoque le
Isshin-den-shin (de mon âme à ton âme) du Zen, ou le contact par le coeur
(Kokoro), la profonde relation humaine entre maître et disciples, ou, si ces mots vous
font peur, entre professeur et élèves.
Personne ne peut mettre en doute la passion qui vous anime dans vos domaines respectifs,
ni la volonté de vouloir transmettre...Je minterroge simplement sur les moyens que
vous évoquez pour assurer cette transmission du savoir. Pardonnez moi de poser la
question : dans toutes ces recherches et ces approches, où donc est...lHomme ?
La recherche et lexpérimentation ne doivent pas devenir des fins en soi, elles doivent servir non asservir le pratiquant, donc être directement utilisables sur le terrain (qui est ... la formation de LHOMME, pas seulement du champion, à travers la pratique), ne pas dériver en grandissant démesurément le contenant en en faisant oublier le contenu. Les sujets de recherche pure peuvent aller à linfini, mais lessentiel est de toujours revenir à la préoccupation centrale : quid de lHomme ? ... Cest pour, et avec, lhomme (à travers la chaîne maître-disciple) quil faut construire, pas pour, et avec, des concepts détachés du réel.
Cest pourquoi, Mesdames et Messieurs, et aussi collègues, permettez moi dattirer votre attention dans deux directions :
une double mise au point (et peut-être mise en garde ?)
une incitation.
Concernant la mise au point ...
dabord, sur la notion même de SAVOIR. Il me semble en effet que le mot a souvent été utilisé ici de manière limitative. Or, il convient, dans le domaine des arts martiaux, détendre cette notion bien au dela de la simple technique. Il faut faire la place aussi au contexte culturel, à lenvironnement historique, au fond philosophique, voire religieux, à tout ce que lon peut résumer par esprit de la technique. Seul ce contexte donne à ce que nous pratiquons sa dimension éducative effective. Lart martial, enseigné aujourdhui, est avant tout un moyen déducation. Cest son intérêt premier, dans nos sociétés à problèmes. Et nous sommes tous ici des éducateurs. Eduquer, cest transmettre un savoir global, des repères, des références, donc des convictions. Je sais bien que lessentiel des effectifs de nos fédérations de sports de combat est constitué denfants. Et quil faut adapter. Mais cessons de croire que lenfant, par nature, sait déjà tout, quil suffit de le lui faire découvrir. Cessons de tout réduire à un contexte de jeu : lenfant, justement, a besoin de guides, de limites, doppositions, pas systématiquement dun adulte qui joue avec lui pour lui (et se ?) faire plaisir ...
Il y aurait là beaucoup de choses à dire sur certaines dérives de lenseignement. Noublions jamais que ces enfants seront les adultes que nous ferons. Nous devons absolument savoir ce que nous transmettons , et ne pas aménager en fonction des contraintes. Cest le prix, et je crois aussi la définition, dune véritable voie éducative.
Il y a des siècles déjà, Platon écrivait :"Lorsque les pères shabituent à laisser faire leurs enfants,
lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles,
lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter,
lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce quils ne reconnaissent plus au-dessus deux dautorité de rien ni de personne,
alors cest là, en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie".
une seconde mise au point ensuite, et encore, sur la distinction fondamentale et incontournable entre art martial et sport de combat. Il existe un véritable fossé entre ces deux notions (les points communs au niveau de la gestuelle sont en réalité peu de choses) : car lENJEU est, fondamentalement, différent.
- sur le plan de lexterne :
ART MARTIAL = enjeu de survie. Perdre ou gagner, cest vital. On baigne dans lidée de la vie et de la mort. Lerreur coûte la vie ...
SPORT DORIGINE MARTIALE = espace ludique. Perdre ou gagner est un incident de parcours. Tout y est différent: le concept, le savoir, lenjeu, la manière denseigner, le public (de pratiquants), lécoute, ... Lerreur froisse simplement lego ...
Il y a pour lun la recherche du beau, de lesthétique, du jeu, du médiatique, et il y a pour lautre lobsession de leffort pour approcher lefficacité absolue réservée à une situation dexception.- sur le plan de linterne :
DO = développement interne du pratiquant. Lennemi est en soi. Lhomme se découvre dans leffort gratuit, et découvre les autres. Au bout, la vigilance mais aussi la tolérance. La recherche du Do (la Voie) a abouti à des pratiques martiales qui sont, finalement, des Voies de la Paix.
JUTSU = valorisation externe du pratiquant. Lennemi est hors de soi, et du moi... Se conçoit sous deux formes :
- en temps que techniques de guerre (aujourdhui obsolètes)
- en temps que gestes sportifs (sils mènent le pratiquant à un besoin dappréciation venant de lextérieur, à une consécration. Doù le danger, pour beaucoup, surtout les plus jeunes, facilement motivés par le culte du champion, de la vedette.
Lapprentissage du seul aspect JUTSU (la technique) conduit à des voies dopposition.
La question est, bien sûr : De quoi avons nous besoin aujourdhui ? Je crois, comme vous, que notre société a besoin de Voies de la Paix, de compréhension et de dialogue, pas de systèmes et dinstitutions qui prônent la victoire des uns au détriment des autres. Et cest bien en cela que le message des maîtres dantan reste des plus actuels. Et que cest à nous, qui enseignons, donc qui sommes devant, de le rappeler, même aux enfants. En passant de temps en temps à une dimension de la transmission du savoir qui na plus rien à voir avec lespace ludique. Ne tuons pas les valeurs fortes de la Tradition martiale : en ignorant celle-ci, ou en la réduisant à létat de folklore. Rien nest en ce domaine dépassé. La preuve: quand on prend la peine dexpliquer lenjeu réel de la pratique, on est écouté, et très vite compris. Si nous ne faisons pas un tel effort dans nos Dojo, qui le fera ? Cessons de nous réfugier derrière ladage le monde change... Il faut avoir le courage (encore faut-il croire en ce que lon fait et vouloir agir sur le long terme) de ne pas subir: agissons sur les choses. Sans volonté dengagement, il ny a pas de véritable voie éducative.
Concernant le second point de ma réflexion ...
Oui, bien sûr, il y a une recherche à faire et à poursuivre ...
Le savoir martial amené jusquà nous par une longue chaîne de maîtres et dexperts, parce quil est à la fois expression et support dune réflexion philosophico-religieuse allant bien au-delà dun simple pragmatisme sur le terrain, mérite de survivre à lérosion du temps et aux coups de boutoir dune modernité rapide à dénaturer lessence de choses. Mieux : ce serait faire injure à la mémoire de ces Immortels de la Tradition martiale des pays du sud-est asiatique autant que désavouer leur legs précieux que de renoncer, par facilité ou manque de compréhension de lenjeu, à lenrichir avec le bond technologique, les possibilités scientifiques et la nouvelle réflexion de notre temps. Nous avons à gérer intelligemment, en le ménageant et en lenrichissant sans cesse, un patrimoine culturel commun sur lequel il conviendra toujours de se retrouver pour comprendre laujourdhui et préparer le demain. Que le message vienne de lInde, de la Chine, dOkinawa, du Japon, de la Corée, ou dailleurs encore, ses dénominateurs communs devraient nous convaincre de lunité dune démarche étonnante dans sa volonté de dépasser la petite dimension de lhomme dans lUnivers, et trop constante au cours des siècles pour ne pas cacher dauthentiques secrets de vie, non de mort, sur lesquels ce nouveau siècle aurait intérêt à sarrêter quelque peu. Tant il est vrai, même si ce nest pas toujours évident pour tous, que lart martial individuel, tel quil est livré par la Tradition, contient tous les ingrédients de la tolérance et de la paix.
Comment prolonger aujourdhui encore une telle démarche ? en réfléchissant à ce que pourrait être le nouveau Budo (Shin Budo), réactualisé, pour notre siècle. Je vous propose dAVOIR UNE DEMARCHE ...
... pour un SHIN-BUDO du 21ème siècle
Avoir une démarche ... cest :
* définir
* affirmer un CONCEPT dart martial : ceci est SAVOIR
* se tenir à (cerner le cadre de son action))
pour
* chercher des REPONSES: ceci est POUVOIR
* proposer (ne plus se réfugier derrière des questions)pour
* initier un COMPORTEMENT: ceci est FAIRE
* assumer (sengager derrière ses convictions)
Simplement savoir nest rien. Le savoir doit permettre de faire ... Seule une telle démarche redonne au Budo sa valeur éducative (celle qui justifie sa survie dans le nouveau siècle)
Une telle démarche nest valable cependant que si la réflexion se fait suivant deux axes :
... pour comprendre les valeurs-clés contenues dans la Tradition (fond culturel)
... pour enrichir ces valeurs en les réactualisant sans cesse en fonction dun contexte changeant (forme technique)
Le Budo ne peut garder sa valeur éducative (seul intérêt, sa vraie raison dêtre par rapport au Bu-jutsu) que sil véhicule la force dune TRADITION VIVANTE
Je voudrais conclure sur cette incitation à lhumanisme ...
La vie dun homme passe à léchelle du temps, à la vitesse dun clignement de paupières. Peu de choses pour toucher à lEssence, humer au vrai parfum des choses. Raison de plus pour ne pas la vivre à faire nimporte quoi. Cest ce quavaient déjà compris de nombreux maîtres ou experts darts martiaux du temps jadis, qui ont préféré faire, élargir, prolonger ou rafraîchir la trace (la Voie : Tao, Do, Michi). Une prise de conscience qui nous paraît toujours dactualité et une vraie réponse à bien des flous dans notre société ..., celle qui propose, tout simplement, de nous faire découvrir la Voie de lHomme (Hito-no-michi). Cest aussi la direction de notre travail au Centre de Recherche Budo : arts martiaux et Tradition Vivante !
Jai, quant à moi, toujours défendu cette
certaine idée du Budo.
A mesure que javance dans lautomne de la vie, beaucoup de conceptions que
jai pu avoir de lart martial dès le début, mais qui nétaient alors
quintuitions, mais qui faisaient de tous temps la force de ma passion, sont devenues
certitudes ... Celles-ci sont désormais la source dune grande joie, que je
passerai le reste de ma vie à vouloir partager.
Sumiyuki Kotani Sensei, 10ème Dan de Judo, a écrit :
Si tu deviens un champion, cest bien. Mais le plus important reste la contribution que tu apportes à lédifice humain.
Je reste confiant pour lavenir...
Je vous remercie de mavoir écouté.