École des Cadres 2001


Photo D. EUGÈNE

 

Elle vient de se tenir au cours du dernier week-end du mois de septembre, dans les locaux du “Foyer d’Amitié Internationale” de la localité vosgienne de Schirmeck-La Claquette, près de Strasbourg.Cette réunion annuelle des enseignants des Dojo affiliés au “Centre de Recherche Budo”, venus de France, de Belgique, d’Allemagne et de Suisse, responsables de la dynamique de l’association, fut comme à l’habitude orchestrée par Sensei Habersetzer lui-même, toujours soucieux que soient correctement cernées en chaque début de saison les directions techniques comme l’esprit des techniques enseignées dans ses Dojo. L’occasion pour lui de rappeler avec force que la Voie d’un Karatédo vivant, donc évolutif, art martial authentique véritablement ancré dans les défis de notre époque, est, plus que jamais sans doute, devenue une “Voie étroite” qu’il convient sans cesse d’expliquer et d’illustrer par la passion de l’exemple, afin que les pratiquants qui font confiance à l’orientation du C.R.B. disposent de tous les éléments leur permettant de bien comprendre ce qui la différencie de ce qu’il leur est généralement donné de voir aujourd’hui à travers l’énorme battage médiatique qui a de quoi fausser bien des jugements !

C’est pourquoi l’Ecole des Cadres du C.R.B. s’articule depuis plusieurs années sur le thème fondamental : “Apprendre à pratiquer et à expliquer notre différence”. Tout en restant bien entendu aussi la première rencontre annuelle sous le signe de l’amitié et le simple plaisir de la pratique entre passionnés du Budo : Do-raku ... !

On y travailla cette année autour de trois points forts : étude de quelques Kata supérieurs classiques, travail dans le concept “Tengu no Michi”, cher au Sensei, approfondissement, théorique et pratique, de la notion centrale de “Bunkai”, et ce avec la participation très active de plusieurs enseignants qui présentèrent les résultats de nombreux mois de travail. Ce furent donc près de 70 “cadres” qui se quittèrent dimanche soir, retrempés dans une passion commune, tant et si bien qu’ils en avaient oublié la fatigue qui les attendait à coup sûr au bout des longues heures de la route du retour ... Non sans s’être promis de se retrouver au prochain stage d’hiver (Kan-Geiko) des 1er et 2 décembre prochain à Strasbourg !

 

Communication introductive de Sensei Habersetzer 
à l’ Ecole des Cadres 2001 du C.R.B.

Suivre la Voie du Budo c’est admettre, entre autres, qu’il existe une progression, et que cette progression ne s’arrête jamais tant que le pratiquant décide, et est capable, de marcher sur cette Voie (et qu’il y évolue, en se modifiant de l’extérieur comme de son “intérieur”).

Le Budo, contrairement au Bu-jutsu, se donne comme objectif d’aider à former un homme ou une femme “véritable”, utile à lui-même et aux autres, responsable dans la société dans laquelle il vit, et qu’il essaie à son tour de faire progresser, de sa place, dans un sens utile et bénéfique pour tous.

Ces deux postulats de base font que l’on évolue dans le Budo, ou que l’on se situe totalement ailleurs. Au CRB, nous voulons, je l’espère et ne peut concevoir autre chose, évoluer dans ce Budo : c’est à dire progresser, pour soi, mais aussi pour les autres.

Cette progression se fait suivant des paliers : le problème est que nombre de pratiquants (je pense qu’ils constituent la très large majorité) finissent par s’arrêter un jour ou l’autre sur l’un de ces paliers, soudain devenu bien confortable, l’âge aidant ... (on se trouve toujours un tas de bonnes raisons, parmi lesquelles le plus souvent la faute donnée aux “autres”...)

Ma démarche de “Tengu no michi”, la Voie Tengu, s’inscrit tout naturellement pour moi dans cette progression, comme une suite logique de ce que j’aime et pratique passionnément depuis mes 40 ans de “ceinture noire” (j’ai passé mon 1er dan en décembre 1961 !). Depuis que j’ai appris, et osé, mais conformément à la Tradition, poser tout doucement, et avec tout le respect que je leur devrai toujours, certaines “béquilles” au bord d’une Voie qui m’apparaît désormais de plus en plus claire et positive.

Cette nouvelle démarche vient au bout, et il ne pouvait en être autrement, de l’intégration dans la pratique que je vous propose, des notions d’”art martial” et de “Traditon vivante”. Je m’explique :

  • en quoi faisons nous des “arts martiaux” ? du “martial” nous voulons conserver le sens des techniques procédant du combat réel (préoccupation des notions de vie et de mort. Responsabilité du geste, conçu comme une “arme” en soi). Et nous voulons garder une dimension “artistique” dans le sens que notre pratique, désintéressée, est empreinte d’une éthique, et de la passion du geste “gratuit” (“inutile”, au sens qu’il ne devrait jamais servir). Ce qui nous distingue à la fois du monde sportif et de celui où ne sont pratiquées que des techniques de combat, simplement destructives.

  • en quoi sommes nous dans la “Tradition” ? parce que nous restons dans le “martial” pur, que la finalité de notre démarche reste la préoccupation du combat réel avec le terrible enjeu vie/mort, donc dans une approche technique et mentale la plus proche possible de ce type de réalité. D’où des gestes “affûtés”, exécutés dans un esprit particulier, ciblés mais contrôlés. Tout geste, tout comportement dans nos Dojo, doivent être “graves”, “justes”, avec conscience des prolongements et conséquences possibles. On est à l’opposé du jeu. Mentalement nous cherchons plus à “éduquer” qu’à “forger” le mental ... C’est là, exactement, le contour des “arts martiaux” du Japon entre 1870 et 1900, alors sortis des nécessités du combat réel (et interdits en tant que tels) et pas encore vraiment “tombés” dans le domaine sportif et ludique. Les maîtres de ce temps proposaient alors leurs techniques comme supports éducatifs pour une jeunesse qui ne savait plus très bien où elle allait. Mais elles restaient des techniques alors encore très pointues, quasi guerrières ... (on connaît l’exemple de Kano Jigoro qui a en quelque sorte fait “décanter” les techniques du vieux Ju-jitsu en un ensemble praticable sous forme de sport tout en gardant un autre ensemble, rassemblé sous formes de Kata, destiné à perpétuer les techniques réellement létales).

  • en quoi notre Tradition se veut-elle “vivante” ? en ce sens que, sur une forte base ancienne, elle continue à se construire en se nourrissant des réflexions et apports modernes, dans le domaine technique comme dans celui du mental. Parce qu’aucune “Tradition” n’est jamais apparue dans le monde, telle quelle, finie, posée, parfaite et définitivement “gelée” ... !

Mais où se situe notre démarche par rapport à tout ce qui se fait aujourd’hui sous l’appellation “arts martiaux” ? Résolument “ailleurs”, et c’est cet ailleurs qui fait peur à beaucoup, car “ailleurs” (et c’était déjà mon premier éditorial signé dans le premier numéro, en octobe 1980, de notre défunte revue “Le Ronin” !) apparaît souvent “dangereux”, inconnu ou montré du doigt, source de problèmes ... Et se compliquer la vie, ce n’est pas vraiment dans l’air du temps !

Réfléchissons simplement au choix possible pour un “budoka” dans l’environnement actuel. Procédons par élimination .... Regardez autour de vous : la pratique des arts martiaux se renforce de plus en plus vite dans 4 directions :

  1. Il y a les formes sportives : c’est le “Budo-sport”, qui touche la plus grande masse des pratiquants. On y excuse la violence, souvent vécue par procuration (et qui vont jusqu’aux affrontements de “gladiateurs” : ultimate fighting, etc.). Ce sont des “sports d’origine martiale” ...

  2. Il y a les formes “artistiques” : c’est le “Budo-show”. On y trouve les Kata “artistiques”, les démonstrations et “nuits d’arts martiaux”. Ce sont des “gesticulations d’origine martiale”, désormais sur fond musical et éclairages spéciaux ...
    Ces 2 premières formes ont pour points communs d’être des spectacles séduisant le grand public, donc permettant de faire de l’argent, motivation suffisante pour renforcer le phénomène ... au nom du sport, de l’esthétique et ... du culte de soi.

  3. Il y a les formes de combat : c’est le Bu-jutsu” (au mieux ...), type Krav Maga ou Pentchak Silat, en passant par toutes les techniques exhumées à la demande, ici et là, pourvu qu’elles apparaissent inédites (?) et “exotiques”. C’est efficace, brutal, fait de l’homme une machine à nuire. Facile ... Rien que des techniques “commando”, finalement assez semblables les unes aux autres, et connues de tous les spécialistes dans tous les “services spéciaux” du monde. Elles font “flipper” car elles évoquent le monde des “unités d’élite”, le monde des “body gards”, etc. ... C’est aussi très séduisant et, pour de nombreux “instructeurs”, une autre affaire en or ...
    Mais au moins ces 3 formes affichent la couleur : il y a une forme d’honnêteté dans les trois démarches. Le choix est clair.

  4. Il y a les formes à connotation spirituelle, transmises par des “gourous”, dans un flou artistique, plus ou moins savants mélanges de genres, qui conviennent à beaucoup de gens désireux de s’isoler de la réalité dans la contemplation de leur propre importance, encouragée par des discours ambigus venant de “maîtres” très intéressés par une clientèle désemparée dans le monde réel. Il leur suffit de reproduire des gestes d’une autre époque, sous le prétexte qu’ils sont “traditionnels” et qu’on trouve dans la Tradition réponse à toutes les préoccupations de monde actuel, pour rassurer ... C’est la forme la plus malhonnête, à mon avis ... mais les sectes se sont toujours nourries de la bêtise humaine. Rien de nouveau en ce domaine.

Et nous, alors ? Il reste peu d’espace pour notre différence. Il est surtout difficile de le faire cerner correctement (on comprend si facilement “de travers”, ou partiellement). C’est pourquoi il me paraît essentiel de bien comprendre ce que nous voulons faire et ce que nous ne voulons absolument pas faire, afin que nous soyons capables de l’expliquer sans ambiguïté à nos propres élèves. Mais expliquer ne veut pas obligatoirement dire convaincre; il vous faudra respecter la liberté de choix de chacun. Soyez simplement honnêtes dans votre explication, même si celle-ci doit provoquer des départs dans vos Dojo.

Je voudrais que notre démarche, claire, reste présente dans tous les Dojo du CRB et je sais que je peux compter sur vous !

 

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