9e Dan, Hanshi

Maître Tsuneyoshi Ogura, élève de Yamaguchi Gogen (1909-1989) et de Gima Makoto (1897-1989) remit à Sensei Roland Habersetzer, le 28 avril 2006 dans son Dojo de Kofu (Yamanashi-ken, Japon), le grade de 9e Dan, avec le titre de Hanshi et lui reconnut par ailleurs le statut de Soké (maître fondateur) de son propre style " Tengu-no-michi " (Tengu-ryu Karatedo, Kobudo, Hojutsu). Ces grades et titres lui furent également confirmés par Tadahiko Ohtsuka, du Gojukensha de Tokyo, un autre Maître-référence en Gojuryu, Naha-te et Shuri-te, élève direct de Higa Yuchoku (1910-1994), et ami de longue date.

Cette ultime reconnaissance souligne le sens que Roland Habersetzer a toujours voulu donner à 49 années de pratique des arts martiaux et d'engagement en faveur d'une Tradition authentique, dans le plus pur respect des étapes " Shu ", " Ha " et " Li ". C'est aussi la légitimation de son concept de pratique " Tengu no michi ". Le titre de Hanshi lui avait déjà été donné par ailleurs par la Kokusai Shotokai Egami-ryu Karatedo Renmei.

 Ba ... Giri ... le Lien et le Devoir ...

(Japon, mai 2006)

Je voudrais commencer par vous rappeler une histoire attribuée à Gichin Funakoshi, que j'avais citée dans mes " Ecrits sur les Budo ". Elle m'est revenue à l'esprit lorsque je quittais le Dojo de Maître Ogura, le 30 avril dernier. Il s'agit de la réponse du Maître à la question de savoir ce qui pouvait bien distinguer une homme " normal " d'un autre, qui suivait la Voie. La voici.

"Lorsque l'homme du commun est reçu à l'examen du 1er Dan, il se redresse avec fierté devant les membres du jury, puis court annoncer la bonne nouvelle à sa famille; lorsqu'il réussit le 2e Dan, il grimpe sur la plus haute éminence qu'il puisse trouver pour en crier à la ronde la distinction qu'il vient d'obtenir; et lorsqu'il passe le 3e Dan, il saute dans sa voiture et sillonne la ville en klaxonnant frénétiquement pour fêter l'évènement...

Un homme qui sait reconnaître la Voie agit différemment. Au 1er Dan, il incline la tête en signe de reconnaissance; il reçoit son 2e Dan en se voûtant encore un peu plus en signe d'humilité; et lorsqu'il reçoit son diplôme de 3e Dan il s'incline jusqu'à terre, confus, avant de s'éclipser discrètement, tant il mesure maintenant ce qui le sépare de la véritable perfection ".

Tenguryu Karatedo Soke

Je me suis rendu à plusieurs reprises dans la ville de Kofu (préfecture de Yamanashi) depuis 1973, après avoir fait la rencontre de Maître Tsuneyoshi Ogura chez Sensei Henry Pléé, à Paris. Je ne vais pas en refaire l'historique ici. Si j'évoque le temps de cette première rencontre, c'est qu'elle fut décisive pour ma pratique de Budoka, sur fond de ce Kimochi (ambiance) qui s'était installé aussitôt entre nous. J'avais décidé de rester fidèle à cet homme qui m'avait alors nommé 5e Dan, avec le titre de Shihan, décidé de rester " lié " (Ba), sans hésitation aucune, en raison de ce qu'il avait mis d'emblée de confiance en moi, à l'heure où j'avais décidé d'arrêter une pratique Karaté qui ne répondait de loin plus (dans le cadre d'une fédération sportive à laquelle j'avais pourtant d'abord cru) à ce qui m'y avait attiré il y avait alors déjà plus de 15 ans.

Lorsque je me suis une nouvelle fois rendu en son Dojo du Gembukan en avril 1992, le Maître, duquel je connaissais les ennuis de santé, se remettait d'une première attaque, et je l'avais trouvé brutalement physiquement vieilli, alors que son esprit était resté vif. Il m'avait alors confié que, parvenu au Ciel (il avait été dans le coma), Dieu lui avait dit de retourner en son Gembukan, parce qu'il y aurait encore bien des choses à faire ... mais, aurait-il ajouté, pour " peu de temps "... Une manière touchante de me dire qu'il appréciait ce qu'il ressentait comme un sursis. Lorsqu'il m'avait alors nommé 8e Dan, il avait tenu à revêtir son kimono d'apparat pour la cérémonie traditionnelle de remise du diplôme dans son Dojo. Et lorsque je quittais Kofu, nous ne pensions plus nous revoir jamais ...

Et puis, le Karma des uns et des autres impose d'étranges détours ... Celui du Maître était de survivre, mais avec une santé qui allait se dégrader encore. Je savais qu'il m'attendait ces dernières années (pour tout vous dire : il m'avait déconseillé de venir en 2004, comme je l'avais prévu, m'écrivant que ce serait une mauvaise année pour moi ... Il s'est en effet trouvé que ce fut l'année de mes débuts de soucis de santé, qui se prolongèrent en 2005 ... !). J'avais donc programmé ce retour à Kofu le plus tôt possible. Puisque j'avais le bonheur de revoir encore Sensei Ogura.

D'étranges pensées me submergeaient lorsque je pris le train Azusa depuis Shinjuku à Tokyo, en direction des montagnes de Yamanashi-ken. L'impression d'un retour à la source, une fois encore, sur fond de temps suspendu, comme une grâce inespérée. Cette fois les cerisiers avaient défleuri, et les vignes verdissaient déjà. Plus loin, le Maître m'attendait. Comment allais-je le retrouver ? Je n'arrivais pas à ne pas me sentir fébrile ...

A mes amis (et aussi aux autres ...) qui liront ces lignes, je ne veux dire ici que ceci. Certes, physiquement plus diminué encore, ne pouvant plus se déplacer que très lentement, parlant avec difficulté, les yeux de mon vieux Maître restaient habités de la même flamme lorsqu'ils pénétrèrent les miens. Nous avons commencer par ... pleurer ensemble ... heureux ! Terrible séquence émotion ... Puis lentement nos cœurs ont repris le contact. Les mots sont venus. Les regards, les sourires. Le bonheur d'être ensemble de façon si inespérée. Un grand moment. Et puis, je voulais lui parler de ma " Voie Tengu ", lui expliquer une recherche que j'avais entreprise lorsque je l'avais quitté il y avait 14 ans. En présence de ses deux fils, Hisanori Sensei et Hirotsune, il m'a longtemps regardé dans mes évolutions, parlé à voix si basse que je devais revenir tout près de lui pour comprendre des remarques d'une pertinence inattendue, scruté avec un regard appuyé et bienveillant. Plus tard, avant de nous séparer (pour combien de temps cette fois ...) le Maître m'a délivré le titre de Hanshi, dans la Tradition de la progression Menkyo (titre que la graduation dans les systèmes modernes a traduit en 9e et 10e Dan) et, plus important à mes yeux, le titre de Soke (maître-fondateur) en Tengu-ryu Karatedo, avec un Kakemono revêtu de son sceau à l'appui.

Je n'ai éprouvé que très peu de sentiments forts au cours de l'attribution de mes grades dans ma vie de Karatéka, en 49 ans de pratique et de passion à ce jour : joie et fierté lors de mes 1er Dan (1961) et 2e Dan (1965) à la fédération française (j'étais jeune, et j'y croyais encore), puis encore fierté lors du 5e Dan japonais remis pas Sensei Ogura (1973). Puis, plus rien, jamais vraiment, jusqu'à ce soir du 28 avril 2006, où je me sentis brutalement submergé d'une grande paix et d'un immense bonheur. D'une immense responsabilité ... Aussi simple que cela ... Mais je n'avais absolument aucune envie de le crier sur les toits ... J'avais juste envie de rester là, oublié, pour mieux garder ce sentiment pour moi ... Ce soir là, j'ai longtemps marché seul dans la nuit de Kofu. Si j'en parle ici, après avoir longuement réfléchi, c'est que j'ai finalement pensé qu'il était juste que je partage ce sentiment avec ceux et celles qui, à leur tour, me font confiance depuis si longtemps. Voilà qui est fait. N'en parlons plus. Il reste beaucoup de travail avant que d'entrevoir le bout de la route : " Kyu Do Mu Gen " (suivre la Voie ne s'arrête jamais).

En me retrouvant à la gare de Kofu, j'ai porté un dernier regard sur les montagnes enfermant la ville où continuait à lutter mon Maître, ligne d'horizon derrière laquelle se profilait vaguement le Mont Fuji dans la brume du matin, le cœur lourd. Reverrai-je encore Shihan Ogura ? Avec son autorisation d'enseigner " ma " Voie, celle qui désormais ne pouvait être que la mienne, dans la plus pure Tradition des étapes " Shu ", " Ha " et " Li ", il avait légitimé " Tengu-no-michi " (*). La veille, Maïtre Ogura avait fait l'immense effort de gravir l'escalier raide qui reliait l'appartement au Dojo, pour poser pour la photo souvenir, avec des douleurs visibles. Où était le temps heureux où nous courions les temples du pays de Takeda Shingen ? Oui, bien sûr, nous avons pleuré  en nous quittant. Domo Arigato, Sensei ... Mata Omeni Kakarimasho ...

Qui peut savoir ? Lorsque je quittais une nouvelle fois le temple de Kofu dédié à Takeda Shingen (un autre rite ...) j'ai imaginé entendre le rire du Tengu ... Peut-il faire autrement que de rire de la fragilité des hommes ? Mais une autre fois peut-être m'inspirera-t-il les réponses aux questions que je continue de me poser ! Quelque chose de mon cœur est resté au pays des Tengu de Kofu. Que la vie vous soit douce, O-Sensei Ogura, longtemps encore. Que votre Tengu vous assiste. O Ki Otsukete, Sensei ... Prenez soin de vous ...

Roland HABERSETZER
... le 28 mai 2006

Emotion des retrouvailles avec Sensei Ogura, une fidélité de 33 ans.

 

« Hommage à maître Ogura »

 

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