Hommage à Maître Henry D.Plée
(24 mai 1923 - 19 août 2014)

                        Je le savais très éprouvé par la maladie. Avec des hauts et des bas dans son évolution, ces dernières années. Mais parfaitement conscient de son état, jusqu'à la fin, lorsque même son humour toujours aussi juste et incisif (pour ceux qui l'ont connu) a fini par ne plus faire le poids. Il a lutté, en guerrier qu'il a toujours été, puis il lui a fallu rendre les armes, rendre le Ki...
                        Henry Plée s'en est donc allé en cette matinée du 19 août 2014. Encore un maillon qui vient de casser dans une transmission qui nourrit encore nombre d'entre nous, vieux pratiquants (qui le savent bien) et encore bien plus jeunes pratiquants (qui ne le savent plus, ou ne le sauront probablement jamais). Encore une bibliothèque partant en poussière.
                        On a beau s'y attendre, mais quand ça finit par arriver...

                        Je ne suis pas le mieux placé pour vous parler de son départ. A évoquer une vie consacrée à la passion et à la divulgation des arts martiaux, notamment du Karaté, à partir de 1954, à travers toute l'Europe. Ils furent si nombreux dans les années 50, 60, 70, 80, à pousser la porte de son dojo ouvert à  "Judo international", rue de la Montagne Ste-Geneviève à Paris. Beaucoup d'entre eux ne sont plus de ce monde, ou ont oublié... Nombreux seront sûrement à partir d'aujourd'hui ceux qui s'en souviendront soudain...
                        Je fus l'un de ces élèves de Maître Plée, de mes débuts en 1957 au 1er Dan obtenu en 1961, et aujourd'hui l'un des plus vieux encore en vie (et toujours chercheur et pratiquant). Je l'ai toujours revendiqué. Et n'ai-je assez dit et écrit que ce grand Sensei a changé le cours de mon existence. Il fut mon premier maître. Celui qui m'a mis sur la route. Il est une référence qui restera toujours dans ma mémoire, même si nous étions quelques années en froid, chose que je n'ai jamais cachée non plus,  après l'aventure avortée de la revue "Budo Magazine" (il était du signe des Gémeaux, comme moi, c'est dire le caractère "entier" de nos caractères et de ce que cela implique....!!). Mais nous nous sommes heureusement retrouvés depuis, pour échanger, déjà, des souvenirs comme de vieux combattants d'une époque sur laquelle il faut porter un regard plus indulgent.
                        Il m'avait fait confiance pour ouvrir le premier dojo de Karaté dans l'Est du pays, Alsace, Lorraine, Vosges. Et lorsqu'il m'a vu douter de ce que je pourrais assumer une telle mission, après qu'il m'eut décerné la ceinture noire (j'était alors la plus jeune CN du pays), il a su me convaincre que je le pouvais. Et j'ai pu... Je crois. A voir la multitude des dojos de Karaté qui se sont ouverts depuis dans ces espaces alors vierges, dirigés par des professeurs qui ne savent plus qu'ils sont les héritiers des héritiers des élèves, de mes premiers élèves... ! Comment le sauraient-ils ? Personne ne sait plus rien de cette période "héroïque". Et cela arrange finalement beaucoup de monde. Rien de nouveau sous le soleil... Henry Plée m'a dit un jour qu'il ne fallait plus que j'y pense, qu'on lui avait fait la même chose, si systématiquement. Faut-il donc mourir pour que les mémoires reviennent ?
                        Sensei Plée m'avait fait connaître O-Sensei Ogura Tsuneyoshi en 1973, qui prit la relève de l'enseignement, et m'amena là où je suis sur la route martiale. Qui est la route de ma vie. Cette route qui a abouti au Tengu-no-michi, qu'il valida à sa façon en me lançant, lors de mon retour du Japon en avril 2006 avec le titre de Soke pour mon école et le 9e Dan décerné par Sensei Ogura: "Maintenant, tu fais ce que tu veux!"... Avec un sourire complice et entendu. Et il avait vraiment l'air content.
                        Il m'a encouragé à écrire, et à écrire encore, tout en se disant très vite stupéfait de l'importance de ma "production"... Il fut pendant près de 50 ans de publications, même de loin, cette quittance irremplaçable dont j'avais besoin.
                        Ce départ se précisait de mois en mois, de semaine en semaine. Inéluctablement. Pierre Portocarrero me tenait régulièrement au courant. Pierre fut depuis des mois mes yeux, mes oreilles, et aussi ma parole auprès de Sensei Plée, que je n'osais plus appeler au téléphone ces derniers temps, ne voulant ajouter à sa fatigue.

                        Et maintenant ? Je fais désormais partie des pionniers qui montent en première ligne, vers un horizon dramatiquement dégagé de tant d'anciens, qui ont pris les devants, qui nous attendent. L'hiver est bien là. Mais je veux continuer encore. Un pacte avec moi-même, et dont j'avais parlé un jour à Sensei : "Et tu en fais encore...?" m'avait-il dit alors, sincèrement étonné. Mais il y avait aussi de l'encouragement dans le sourire qui suivit. J'avais toujours le feu vert... Vers qui me tourner aujourd'hui, après les premiers départs des Sensei Ogura (2007), puis Ohtsuka (2012) ? Miyamoto Musashi l'a écrit : " La voie de l'art martial est une voie où l'on va seul". Pour la fin de la route, sûrement...

                        Honneur et respect à toi, Henry (puisqu'à la fin tu as voulu que nous nous tutoyions)... Tu resteras en nous avec l'image d'un défricheur et d'un passeur inoubliable des arts d'un Budo authentique. On ne meurt vraiment que dans l'oubli de tous. Nous sommes encore nombreux à te garder en vie ! Ce qui est arrivé fait hélas partie des choses de la vie. Des choses de nos vies. Un jour ou l'autre.
                        Bon vent, mon Maître, vers je ne sais où, et regarde, d'où je ne sais où, ce que nous tentons de faire de l'héritage laissé. Puisqu'il est dit que l'homme est ainsi fait qu'il ne lui soit pas possible d'apprécier un jour la profondeur de la trace qu'il doit un jour laisser derrière soi. Tu fus incontestablement le père du Karaté européen et africain. L'Histoire ne peut que te rendre justice !
                        Je n'ai pas d'autres mots pour exprimer ce que je ressens en écrivant ces lignes.

                        A son épouse Léa, à ses enfants et petits-enfants, je veux présenter mes sincères condoléances et dire encore ici la tristesse de quelqu'un qui s'est également senti un peu plus orphelin en ce 19 août, avec le départ de ce grand Monsieur.

Roland Habersetzer

A lire sur ce site : Retrouvailles avec Henry Plée (paru en 2005).

A lire l'hommage posté par Georges Charles sur son site :
http://www.tao-yin.com/arts_classiques_tao/Disparition_Henry-Plee.html

et aussi : www.henryplee.com

 

et une vidéo publiée sur Youtube par RONIN Martial Production :

Découvrez à travers ce film de Julien Boucher, l'histoire du pionnier du Karaté en France et en Europe. HENRY PLEE, l'homme qui a écrit l'histoire de cet art en France.

 

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