En ces temps
        difficiles l'essentiel est, plus que jamais, de vendre de l'illusion, du
        jetable, absolument sans état d'âme. De rassembler, de retenir, à
        tout prix. Vite. Les voici, donc, ceux " de la dernière heure
        " (2), qui ont si courageusement attendu que l'éléphant se
        relève... Il y en a même qui parlent aujourd'hui, sur le tard et sans
        rire, d'un " devoir de mémoire " pour les pratiquants d'arts
        martiaux. Ben voyons. Je les attendais... Reconversion tardive,
        spectaculaire, sans nul doute intéressée, vitale même pour tous ceux
        pour lesquels l'exercice d'un art martial est un métier. Une obligation
        que je peux comprendre après tout, mais c'est la récupération sans
        vergogne qui m'apparaît inacceptable. En cela le simple effet d'annonce
        est déjà, en soi, un comble... Devrais-je en conclure que je vais
        finir par avoir eu raison à tenir bon depuis 40 ans malgré
        l'acharnement que tous ces gens là (qui étaient déjà ceux qui
        s'amusaient à observer de loin ceux qui tentaient de se mettre sous l
        'éléphant...) ont mis dans leur volonté de destruction de la mémoire
        et de la culture " martiales " dont ils veulent se faire
        désormais les nouveaux apôtres ? Mais, cela, il ne faudra surtout
        plus s'en souvenir... " Avoir raison trop tôt... "
        (3).
        Certes, on ne peut que se réjouir des bonnes choses. Même si elles ne
        sont qu'annoncées... Car une considération nouvelle pour le
        Traditionnel, même venant de ceux qui s'en gaussaient hier encore (en
        coulisse, bien sûr, prudents tout de même...), serait évidemment au
        final une évolution positive du triste environnement " Budo-Wushu
        " actuel. Prenons en l'augure... Reste que... : ces fédérations
        ominiprésentes auront-elles les structures nécessaires à ce virage à
        180°, après avoir formé (et même formaté) des générations
        entières suivant les critères de l'affrontement en compétition et
        quelques pitoyables ersatz de ce que véhiculait réellement en
        profondeur l'enseignement traditionnel ? On ne reconstitue pas si
        facilement une trame aujourd'hui largement en charpie (la " culture
        Budo "...) après un programme de déculturation générale, dans
        tous les domaines d'ailleurs, parfaitement voulu et initié depuis des
        décades (et qui est de dimension planétaire). Je reste donc curieux de
        voir. Cela commence même à m'amuser maintenant... Car après tout,
        voilà peut-être cette " goutte d'eau " qui va me décider à
        me " desentêter " (ou me " desenchaîner "?) d'un
        pâle monde Budo actuel dans lequel je ne reconnais plus, dans les faits
        et les exemples donnés, les valeurs qui m'avaient tant séduit dans
        l'initiation de ma démarche il y a un demi siècle (!) et dans la
        fidélité desquelles je me suis tant battu... Et comme le "
        martial " utile au monde réel actuel s'enseigne et se pratique
        depuis un bon moment ailleurs (un ailleurs dans lequel j'inclus le
        Tengu-ryu !) que dans les milieux où cette approche reste si figée
        dans un classicisme chaque jour dramatiquement plus désuet, ce monde
        Budo là est en train de perdre ce qui lui restait encore de
        crédibilité. Donc de manquer son rendez-vous avec le futur. Je sais,
        tout dans le monde dans lequel nous vivons a changé en quelques
        décades. Et alors ? La seule réponse à imaginer maintenant
        serait-elle de " voler au secours de la victoire " (laquelle,
        d'ailleurs?)...? Ce sera alors, évidemment, sans moi. Les valeurs du
        Budo ne sont pas affaire de modes, au gré de quelques décideurs
        motivés par des objectifs commerciaux, humant fort opportunément le
        sens du vent changeant. Je continuerai donc à me tenir à l'écart de
        tant de dérives, de mensonges et d'impostures. Qui pouvait en douter?
        Il n'est peut-être pas inutile de rappeler également au passage, à
        ceux qui feignent de ne plus s'en souvenir ou qui racontent n'importe
        quoi à mon propos sur leurs blogs ou je ne sais quel autre forum ou
        espace de chat (il paraît...), dans une ignorance complète des faits
        qui m'ont fait prendre la position que je défends (toujours)
        aujourd'hui, que je suis entré en résistance il y a quelques 35 ans
        contre des comportements et des discours dont j'ai vu de suite la
        capacité d'érosion du concept Budo traditionnel..! Lorsque j'ai enfin
        compris (cela a pris 10 ans tout de même, passés au service de la
        Fédération Française de Karaté, comme zélé représentant pour les
        départements de l'est du pays) qu'il était impossible de faire bouger
        les lignes de l'intérieur et que j'ai dû me résigner à construire,
        seul, ma propre maison, où ont passé tant d'invités et où sont
        restés, tout de même, tant d'autres qui se reconnaissent dans mes
        choix et mes positions intransigeantes, et me le disent (ailleurs que
        sur des blogs anonymes). Qui s'y trouvent bien à pratiquer quelque
        chose d'authentique, qu'ils ont toujours cherché en vain ailleurs. 35
        ans... Quel âge ont donc ceux qui se permettent aujourd'hui d'émettre
        des critiques sur ma bonne foi, ma passion pour le Karatédo et,
        au-delà, sur la validation de mon parcours ? Ils sont... "
        qui "...? Combien d'entre eux ont appris dans mes livres ? Et
        même leurs propres professeurs, aujourd'hui haut gradés ("
        officiels ", aux Dan dûment " homologués ") ? Que
        ceux là, et d'autres, qui ont pu leur mettre certaines idées dans la
        tête, qui seraient tentés de mordre la main qui les a (tout de même
        pas mal...) nourri à l'un ou l'autre moment de leurs parcours (et que
        cela peut gêner aujourd'hui, je peux l'admettre), comprennent bien que
        si l'on songe à attaquer ma maison, dans laquelle se sont réfugiés
        tant de déçus de ces structures officielles, dirigistes et écrasantes
        pour tout individu cherchant dans la pratique du Do une réalisation du
        " soi " plutôt qu'une affirmation égotique du " moi
        ", je ne laisserai pas faire... Parce que " Ne pas se
        battre, ne pas subir " est à la base de la " Voie
        Tengu " (Tengu-no-michi) que je propose et dans laquelle
        j'évoluerai aussi longtemps que me le permettra l'automne, et
        peut-être encore l'hiver, de ma vie. Et parce que " Le sabre
        est un trésor dans son fourreau ", certes, mais...
        Je suis persuadé que
        l'esprit de cette Voie là, cette autre manière d'utiliser la technique
        à main nue (Kara-Te), imprégnée d'un comportement adapté à
        notre temps, sera tout à fait actuel dans quelques 20 ou 30 ans...
        Voilà que, avec l'aide inattendue de ceux qui vont souffler de plus en
        plus fort dans la nouvelle direction du vent, il lui faudra peut-être
        moins de temps pour le devenir ! Tant mieux. Encore que tout
        dépende de la manière dont ils seront " vraiment " capables
        de faire les choses sur le terrain: de la " coupe aux lèvres
        "... cela ne date pas d'aujourdhui ! Et puis, déjà, je ne me
        fait guère d'illusion sur la manière habile dont son orientation
        pionnière et si longtemps en marge de tout ce qui était visible sur la
        scène " Budo " sera récupérée par ceux qui continueront
        sans retenue à faire ce qui leur a toujours médiatiquement réussi. On
        peut faire confiance à leur art de la " com ", et aux
        spécialistes qui les entourent... Ils sont très bons ! Quant aux
        pratiquants, grande est leur capacité d'oubli. Pourquoi tout cela
        changerait-il?
        Je voudrais vous dire aussi qu'avec la sortie en 2009 de mon dernier
        livre " Tir d'action ", illustrant le 3ème domaine de
        compétence du " système Tengu ", venant après "
        Tengu, ma voie martiale " en 2007 puis " Self défense
        pratique" en 2008, j'ai bien l'intention de conclure mon travail
        éditorial (près de 80 ouvrages en 41 ans) sur cette trilogie qui
        résume parfaitement le sens que je veux donner à la poursuite de mon
        engagement dans et pour l'art " martial ". Je pense maintenant
        avoir tout fait en ce sens, tout dénoncé, tout enseigné, tout écrit
        et décrit avec passion , tout mis à la portée de tous, dans tant de
        livres et aussi dans tant d'articles dans plusieurs revues...
        Qu'aurais-je pu faire de plus à mon niveau ? Comment dire encore
        autrement tout ce qui a déjà été écrit ? Comment aurais-je pu
        être plus efficace ? Cette nouvelle année devrait donc être pour
        moi, enfin, un peu plus en retrait, davantage encore consacrée à mon
        travail personnel et, bien entendu, à ceux qui me font confiance sans
        détour, dans les dojos du CRB-IT, et aussi ailleurs. Pour le reste, je
        laisserai, enfin, l'éléphant se débrouiller tout seul (et tant de
        gens faire semblant de le pousser sous tant de regards admiratifs des
        nouvelles générations de pratiquants)... Ce ne sera, définitivement,
        plus mon problème. Je voulais, en ce début d'année, et avant toute
        chose, que vous en soyez les premiers prévenus. En signe d'amitié et
        de respect pour vous qui me lisez depuis si longtemps et qui, d'une
        façon ou une autre, ont toujours trouvé la manière de me dire qu'ils
        ont apprécié le fond comme la forme de mon travail.
        Mais au-delà de cette
        réflexion que m'inspirent certaines évolutions récentes perçues dans
        ce milieu " sportivo-martialo-ludique " qui sait si bien se
        mettre sous le feu des projecteurs, et que je désirais partager avec
        vous en toute sincérité, je veux surtout formuler ici pour vous tous,
        amis connus ou inconnus, membres ou non du " Centre de Recherche
        Budo - Institut Tengu ", mes meilleurs voeux de santé,
        d'épanouissement personnel et familial, pour une nouvelle année riche
        de tout ce que vous êtes en droit d'attendre de votre vie, dans le
        respect de ce et de ceux qui vous entourent.
        Que, cette année encore, tout ce à quoi vous vous êtes
        consciencieusement, inlassablement et minutieusement préparé dans
        votre progression martiale, ne serve jamais à.... rien ! Dans
        l'esprit qui est celui que je tente de diffuser depuis des années,
        celui de ce " ne pas se battre, ne pas subir ", avec la
        réflexion quotidienne qu'exige la prise de conscience de ce qui est
        contenu dans la virgule... Pour que le Budo reste vraiment, avant toute
        autre considération, une Voie de l'éducation (Bu-iku), donc une Voie
        vers la paix, mais sans lâche soumission, et un objectif pour toute une
        vie (Do-raku)... Pas seulement dans la banalité de mots détournés de
        leur sens et de vagues intentions sur lesquelles il est facile d'obtenir
        un large consensus.
        Alors, à très bientôt encore, je l'espère, sur cette Voie (Do,
        Tao, Michi) qui nous rassemble toujours avec tant de bonheur !
        Ensemble, restons " droits " sur la route, inflexibles dans
        nos convictions et nos engagements quels que soient les dérapages,
        présents et sûrement encore à venir, de notre société !
        Indifférents aux directions changeantes du vent et aux tentations
        relayées par des médias envahissants... Si vous en avez la volonté,
        vous en aurez la force.
        Bonne Année 2010, cette " année du Tigre " pour nos amis
        chinois, et prenez bien soin de vous!
        Je vous promets de faire de mon mieux pour être à nos prochains
        rendez-vous.
        
      Roland Habersetzer
      (1) Je le citais dans mon
      " Guide Marabout du Ju-jitsu et du Kiai " paru en... 1978 !
      (2) Editorial paru dans ma défunte revue " Le Ronin ",
      en janvier 1985, qui est toujours à lire dans mon " Ecrits sur
      les Budo " paru chez Amphora en 1993 (voir la rubrique "
      Publications " de ce site).
      (3) " Avoir raison trop tôt est socialement inacceptable
      ", est une assertion de mon ami Alain Baeriswyl qui m'a toujours
      parue si pertinente!